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Décision Uber Cour de cassation 4 mars 2020  : retour sur les risques de requalification du contrat de travail

Le 4 mars 2020 (Cass, soc 4 mars 2020 n 19-13.316), la Cour de cassation rendait une décision s’agissant de la nature du contrat unissant un chauffeur indépendant et l’entreprise Uber.

Handshake

En l’espèce il s’agissait d’un chauffeur auto-entrepreneur qui avait conclu un contrat de partenariat avec la société Uber. Cette dernière avait décidé ultérieurement de procéder à la fermeture du compte du chauffeur.

Le chauffeur avait saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, demande à laquelle la Cour d’appel répondit favorablement considérant que le chauffeur était en réalité lié par un contrat de travail à la société Uber en raison de l’existence d’un lien de subordination entre les parties. La société Uber forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté.

Cette décision nous rappelle l’importance de l’autonomie du travailleur indépendant dans le cadre d’un contrat commercial, elle est l’occasion de revenir sur les points de vigilance à adopter afin de ne pas basculer dans une relation hiérarchique caractérisant un lien de subordination juridique.

Une décision s’inscrivant dans la lignée jurisprudentielle

La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la nature du contrat unissant une plateforme numérique et un prestataire dans un arrêt Take eat easy le 28 novembre 2018  (Cass. soc 28 novembre 2018 n 17-20.079). Dans cette décision la Haute juridiction rappelait que l’existence des 3 principaux pouvoirs de direction : donner des directives, contrôler et sanctionner caractérisaient un lien de subordination entre les parties.

Le lien de subordination est toujours au cœur de la requalification du contrat de travail puisque les juges appliquent depuis l’arrêt Société générale du 13 novembre 1996 (Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187), la définition du lien de subordination juridique selon laquelle “ Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné “.

Comment la Cour de cassation détermine t – elle l’existence d’un lien de subordination entre un chauffeur et la société Uber ?

Cette décision confirme clairement les indices pris en compte par les juges pour déterminer l’existence d’un lien de subordination entre les parties et donc l’existence d’un contrat de travail.

L’indice d’intégration dans un service organisé

Selon une jurisprudence constante, l’intégration à un service organisé est un indice de la subordination juridique, qui doit cependant être complété par l’existence d’autres indices.

(…) le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail “ (Cass. soc., 13 nov. 1996, n 94-13.187 ; Cass. soc., 1er déc. 2005 n 05-43.031 à n 05-43.035).

L’indice de l’intégration dans un service organisé consiste donc à soumettre une personne à des conditions de travail que cette dernière ne peut pas modifier ou négocier.

Dans cette affaire, la société Uber arguait que le chauffeur demeurait libre de ses temps et lieux de connexion et qu’il n’était donc pas soumis à un pouvoir de contrôle et de direction par la société Uber.

Néanmoins, les juges considéraient que le chauffeur était intégré dans un service organisé par la société Uber puisque l’autonomie dans l’organisation du travail du chauffeur était fortement réduite par les conditions générales de ventes définies par la société Uber.

En effet, la société déterminait le prix des courses, les clients, les trajets ou encore les conditions d’exercice de la prestation de transport et ce de façon unilatérale.

Par ailleurs, l’autonomie et la liberté du chauffeur indépendant, étaient d’autant plus limitées qu’il n’avait que quelques secondes pour accepter la prise en charge d’un client sans connaître par avance le prix et le choix de la destination.

Enfin, le chauffeur devait suivre les directives d’Uber par l’utilisation du GPS de l’application et était contrôlé par un système de géolocalisation.

L’indice d’un pouvoir disciplinaire de la société Uber

Le pouvoir disciplinaire est une prérogative selon laquelle un employeur peut imposer des règles à ses salariés et en contrôler l’exécution sous peine de sanction en cas de manquement. Le pouvoir disciplinaire est donc inhérent au contrat de travail.

Dans notre affaire du 4 mars 2020, les juges relevaient l’existence d’un pouvoir disciplinaire entre la société Uber et le chauffeur. En effet, la société Uber se réservait le droit de supprimer le compte du chauffeur de façon unilatérale dans plusieurs cas de figure tels que le refus de plus de trois courses par le chauffeur, l’annulation de commandes par les clients, ou encore dans l’hypothèse où le chauffeur se voyait reprocher un comportement particulier.

De même, les tarifs étaient fixés par des algorithmes de la plateforme Uber sans laisser le choix au chauffeur d’opter pour un itinéraire.

Enfin, le chauffeur était contraint de prendre des passagers uniquement identifiés par l’application de la société Uber limitant ainsi la constitution de la clientèle propre du chauffeur.

La société Uber avait donc un pouvoir étendu de contrôle, de direction et de sanction sur le chauffeur puisqu’elle pouvait prendre des mesures contraignantes ce qui avait pour conséquence de restreindre fortement l’activité du chauffeur supposé indépendant.

Les indices conduisant à l’existence d’un lien de subordination caractérisant un contrat de travail était donc bien confirmés.

Se prémunir contre les risques de requalification du contrat de travail

Cette récente décision présente l’intérêt de rappeler les points de vigilance à adopter dans le cadre des contrats commerciaux ( contrats de prestations, partenariats… ).

Tout d’abord, l’article L. 8221-6 du Code du travail prévoit une présomption d’indépendance des personnes physiques immatriculées notamment au RCS. Ces dernières sont en effet présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité. Le premier point de vigilance sera donc de vérifier l’immatriculation du travailleur indépendant.

Ensuite, l’entreprise doit être vigilante à respecter la liberté d’organisation du travail du prestataire afin que ce dernier soit libre dans la gestion de son emploi du temps.

Enfin, il ne doit pas être soumis à un contrôle ou contraint de répondre à des directives, à défaut il s’agirait d’une relation contractuelle de travail et non plus d’un contrat commercial.

Les conséquences de la requalification du contrat de travail

La requalification du contrat commercial en contrat de travail suppose que la réglementation du Code du travail s’applique de façon rétroactive au travailleur indépendant désormais reconnu salarié.

Ainsi, les conséquences pécuniaires pour le salarié sont :

  • les rappels de salaire,
  • l’indemnité compensatrice de préavis,
  • l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
  • l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
  • les rappels d’heures supplémentaires le cas échéant, application du statut conventionnel
  • le paiement d’une indemnité au titre du travail dissimulé, soit 6 mois de salaire (articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du Code du travail).

Le lien de subordination juridique est au cœur de la distinction entre contrat commercial et contrat de travail. La vigilance est donc de mise afin de préserver l’autonomie des parties dans le cadre d’un contrat commercial et veiller à ne pas instaurer de pouvoir hiérarchique.

Textes de référence :

  • soc 28 novembre 2018 n 17-20.079 ;
  • soc., 13 nov. 1996, n 94-13.187 ;
  • soc., 1er déc. 2005 n 05-43.031 à n 05-43.035 ;
  • soc 4 mars 2020 n 19-13.316 ;
  • Article L. 8221-6 Code du  travail ;
  • Article L. 8221-5  Code du travail ;
  • Article L. 8223-1 Code du travail.

J’ai à cœur d’accompagner les entreprises dans le succès d’un écosystème de compétences externes, en garantissant le respect réglementaire qui nous est tous imposé. Je m’engage donc à participer à des manifestations qui nous permettrons de construire en co-développement les bonnes pratiques de demain.

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