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Interview Marc Beaulier : la conduite du changement dans le secteur public

Marc Beaulier, Associé co-fondateur de Public Impact Management, cabinet de conseil en transformation spécialisé sur le secteur public

Julie Huguet : Bienvenue Marc. Tu es à la tête de Public Impact Management et tu accompagnes depuis maintenant 30 ans les entreprises du secteur public dans leur transformation. On s’imagine le secteur public comme un gros mastodonte qui bouge doucement alors comme fait-on pour être un Change Maker ?

Marc Beaulier : Quand tu dis c’est un gros mastodonte, on a l’impression que rien ne se passe. En fait, il se passe beaucoup de choses, mais quand on est une administration publique, on n’a pas forcément la vocation à changer à la même vitesse une grande entreprise privée. On attend d’une administration qu’elle donne une certaine pérennité, une certaine continuité du service. On n’attend pas forcément qu’elle change ses habitudes tout le temps. Le challenge est d’arriver à faire la part entre ce qui doit changer et ce qui ne change pas. Et c’est compliqué parce que quand vous êtes agent d’une administration, vous avez souvent choisi ce métier plutôt par vocation, vous avez passé des concours il y a longtemps, parfois une éternité… Et vous n’avez pas forcément envie de défaire demain ce que vous avez choisi de faire hier. La conduite du changement est plus difficile que dans le secteur privé. Et puis, on n’a pas les mêmes leviers.

Julie Huguet : Comme tu le dis, on doit motiver des personnes à mettre en place le changement, sachant que ce n’est pour cela qu’ils ont choisi ce métier. Quel type de leviers utiliser pour y arriver ?

Marc Beaulier : Dans le secteur privé, on peut utiliser des leviers de motivation classiques comme la progression hiérarchique, des hausses de salaires, des primes, etc. Tous ces leviers dans le secteur public n’existent pas ou très peu. Même si on le veut, on ne peut pas donner une prime à l’agent. On ne peut pas le promouvoir plus vite que prévu parce qu’il y a des règles. Donc, on est obligé de jouer sur des leviers extrêmement différents.

Ces leviers, il y en a principalement trois.

Il y a le levier de la modernité qui est intéressant. Les agents publics utilisent des outils numériques dans leur vie privée, et ils sont toujours très déçus quand dans leur ministère ou dans leur commune, ils ne voient pas ces mêmes outils. Ce levier « Soyez modernes, soyez de votre temps » marche. La signature électronique en est un excellent exemple.

Le deuxième levier est la fierté au travail. La plupart des gens qui travaillent dans les ministères, dans les grandes collectivités locales, dans les services publics sont là par choix. Si on arrive à leur démontrer que le changement qu’on leur propose va améliorer le service rendu à l’usage, ils vont pouvoir être plus fiers de leur travail et ça, ça les motive.

Julie Huguet : Cela pourrait marcher aussi dans le privé, non ?

Marc Beaulier : On l’utilise moins dans le privé parce qu’entre quelque chose qui est très utile à l’usager, mais qui rapporte moins d’argent par rapport à quelque chose qui est moins utile, mais qui rapporte beaucoup d’argent, le secteur privé a quand même tendance à choisir la deuxième solution. Dans le secteur public, jamais on ne pensera comme cela.

Et puis comme levier du changement, il ne faut pas oublier le réglementaire. On peut prendre l’exemple de la dématérialisation des permis de construire. A partir du 1er janvier 2022, tout le monde déposera son dossier de permis de construire entièrement en numérique. Ce sera comme ça, et pas autrement. C’est un levier qui marche parce qu’à un moment donné, on n’a plus le choix et on obéit à ses supérieurs, qu’on soit convaincu ou non. Ce n’est pas le levier principal, mais c’est utile.

Julie Huguet : Quand tu accompagnes ces transformations du secteur public, comment arrives-tu à savoir que tu as réussi ? Est -ce le même type de KPI que dans le privé ?

Marc Beaulier : Dans le secteur public, on n’utilise évidemment pas ce jargon de KPI. On n’utilise pas du tout les mêmes indicateurs puisque les KPI ont avant tout une connotation financière dans le secteur privé. Le secteur public en a eu à un moment donné. Rappelles-toi de la LOLF (loi organique relative aux lois de finance, NDLR) de l’époque de la RGPP (révision générale des politiques publiques)de Nicolas Sarkozy. On avait un indicateur qui était le nombre de postes. Combien on va en gagner ? Le nombre de postes était une sorte d’indicateur financier. Cet indicateur a été usé jusqu’à la corde et aujourd’hui, c’est devenu un contre-indicateur. C’est à dire que dès qu’on propose quelque chose, la plupart des agents nous demandent de garantir que ce n’est pas pour gagner les postes.

Pour dire qu’on a réussi, il y a plusieurs manières d’approcher ça.

La première manière, c’est la réussite des projets par rapport à leurs objectifs. Pour reprendre l’exemple du permis de construire dont l’objectif est de dématérialiser l’ensemble de la chaîne, c’est assez compliqué puisqu’il y a plusieurs dizaines d’acteurs impliqués. Et là, le vrai indicateur de réussite, c’est quand tu pourras déposer ton extension de véranda de manière dématérialisée, si tu le souhaites, à partir du 1er janvier 2022.

On peut prendre un deuxième exemple sur le même mode qui sont les impôts. C’est une très belle réussite. Il y a 15 ans, tout le monde remplissait sa déclaration d’impôts par papier. Aujourd’hui, plus personne, ou très peu. Et ça marche globalement extrêmement bien, mais il a fallu presque 15 ans. On est sur des indicateurs qui ne se mesurent pas au mois ni même à l’année, mais sur le temps long.

Julie Huguet : Comment vois-tu l’avenir ?

Marc Beaulier : Ça s’accélère de plus en plus. Mais l’administration a toujours un temps de retard et c’est très bien comme ça. Il y a dix ans, il y avait une mode autour de Second Life. Tout le monde avait un avatar. Des boites ont recruté sur Second Life. Aujourd’hui, plus personne. Les administrations ne se précipitent pas dans ces modes. Elles ont toujours un temps de retard. Moyennant quoi, elles évitent quand même un certain nombre de perte de temps et d’argent.

Julie Huguet : J’imagine qu’il y a quand même parfois une certaine frustration, quand on est un change maker du secteur public ?

Marc Beaulier : Oui, évidemment, mais c’est normal. Dans le secteur public, on cherche finalement à bousculer ou à changer les habitudes des agents, à aider les encadrants à faire changer leurs équipes. Et donc ce qu’on cherche, et on rejoint le secteur privé, c’est à avoir un impact. La frustration peut naitre de cet objectif. Pour savoir si on a eu un impact, ça prend beaucoup, beaucoup plus de temps que dans le secteur privé. Je me souviens d’un fonctionnaire qui m’aborde lors d’une collation, cinq ans après une mission réalisée dans son ministère, en me disant « Monsieur Beaulier, on a tranché, on vient de mettre en place les recommandations que vous nous aviez faites en termes d’organisation. ». Il faut accepter cette frustration qui est la lenteur.

Retrouvez Marc Beauliersur LinkedIn.

Julie Huguet est entrepreneure et présidente d’une capitale French Tech. Passionnée de tous les sujets liés à la transformation, l’innovation ou plus généralement à la tech.

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