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Lulu dans ma rue : Les petits services qui recréent du lien social avec Charles-Edouard Vincent

Interview de Charles-Edouard Vincent, fondateur de Lulu dans ma rue.

Julie Huguet : Charles-Edouard Vincent, tu es le fondateur de Lulu dans ma rue, qu’est-ce qui t’a motivé à créer ce projet solidaire autour de la vie de quartier ?

Charles-Edouard Vincent : J’ai passé une dizaine d’années à Emmaüs avant de démarrer Lulu dans ma rue. L’activité traditionnelle d’Emmaüs est la récupération de vieux objets, de textile, etc. L’idée d’Emmaüs Défi, au-delà de la mise à l’abri des personnes, était de donner un peu de travail à ces personnes qui vivaient dans la rue pour leur permettre de redémarrer, de reconstruire une vie. Ce que j’ai vu, c’est que beaucoup de ces personnes n’avaient pas vocation à se réinsérer dans le monde de l’emploi classique. Le monde de l’entreprise les avait parfois brisés. Ils avaient un rapport à l’autorité parfois complexe. Et puis certains, des femmes seules avec des enfants, avaient des vraies difficultés à s’intégrer dans un cadre de travail salarié. D’où l’idée d’inventer quelque chose autour de nouvelles formes d’emploi, de réinventer les petits boulots. Ces petits boulots qui ont disparu à force d’automatisation, à force de code du travail, etc… Ces petits boulots qui étaient aussi des liens tissés à l’échelle d’un quartier. Les gens se connaissaient, se rendaient des services, etc. Réinventer ces petits boulots, ça va donner l’occasion à des personnes d’avoir accès à une activité qui leur convienne et qui ne soit pas une activité avec un chef et des horaires de 8 h à 17 h.

 Julie Huguet : Est-ce que tu peux expliquer ce qu’est Lulu dans ma rue et comment tu as réussi à le créer ?

Charles-Edouard Vincent :  Lulu dans ma rue est une conciergerie de quartier. On a réinventé un métier de concierge qu’on a démocratisé.

On a tous toujours besoin de petits coups de main, alors on s’est dit que ce serait chouette d’avoir un concierge accessible à tous pour pas trop cher, qui va me trouver quelqu’un pour tous les petits problèmes que j’ai dans mon quotidien. Pour changer une ampoule, s’occuper du chat quand je suis en vacances, m’installer ma Freebox …

J’ai besoin de quelqu’un et on va le trouver dans le quartier grâce à une appli. Tous les lulus sont sur l’appli et ils vont prendre ou pas les demandes de prestations en fonction de leurs compétences.  On a aussi dupliqué l’infrastructure digitale avec une infrastructure physique. Les kiosques à journaux de Paris étaient en train de fermer les uns après les autres alors qu’ils incarnent une partie de cette vie de quartier. Aujourd’hui, on a une dizaine de kiosques dans lesquels il y a des concierges qui prennent les demandes. Ils ont aussi un rôle très important par rapport aux Lulus du quartier. C’est aussi leur point d’accroche, là où ils sont chez eux, le lieu où ils vont pouvoir se retrouver, où on va organiser des événements pour le quartier.

 Julie Huguet : Depuis combien de temps dans la société a-t-elle été fondée ? Où en es-tu aujourd’hui ?

Charles-Edouard Vincent : J’ai créé Lulu dans ma rue en 2016. Après Emmaüs Défi, je voulais avoir plus d’impact. Mon choix a été de prendre cette vague du numérique qui arrive comme un tsunami dans nos vies et qui parfois fait peur.  Je me suis dit qu’on pouvait utiliser ce numérique pour le mettre au service de l’impact social, de la solidarité, de l’humain et de la vie de quartier. J’ai donc créé une startup avec une levée de fonds de 12 millions d’euros, mais avec des statuts solidaires. Cela signifie que les investisseurs s’engagent à reverser 50% de leur plus-value dans le projet social de l’entreprise. Pour donner quelques chiffres, on est encore pour l’instant que sur Paris, on a à peu près 1 200 Lulus indépendants, 80 000 clients, l’entreprise elle-même compte 60 salariés, avec une quinzaine de développeurs et puis nos concierges de quartier. On a un volume d’affaires de l’ordre de 7 millions d’euros.

Julie Huguet : Tu as une dimension très solidaire et tu résous un problème de société. Tu t’es financé uniquement par la levée de fonds ?

Charles-Edouard Vincent : Il y a une vraie volonté pour moi d’assurer de l’accompagnement social pour les Lulus. Je parlais tout à l’heure d’Emmaüs Défi. En fait, le Lulu arrive après. Il n’y a pas de personnes qui sortent de la rue et qu’on envoie directement chez des particuliers pour rendre des services. On a des personnes qui ont déjà un certain niveau de stabilité, mais qui sont encore en fragilité, qui ont très souvent des problématiques santé, de surendettement, de logement précaire. On va les accompagner sur toutes ces dimensions et cela représente à peu près la moitié des Lulus, entre 500 et 600 personnes. Il faut financer cet accompagnement. J’ai mis en place des partenariats avec l’Etat, avec la Ville pour financer l’accompagnement social. Et donc aujourd’hui le modèle tient sur deux piliers. Il y a le financement par le client, avec notre commission de 20% sur le prix de la prestation, et le financement par les pouvoirs publics au titre de notre action auprès des Lulus. C’est un modèle qui a besoin de ces deux types de financement pour à la fois utiliser l’économique comme support pour notre action sociale et en même temps, le social est ce qui rend le modèle économique viable. S’il y avait uniquement le financement par les clients, le modèle économique serait beaucoup plus dur. On ne pourrait pas avoir cette croissance.

 Julie Huguet : C’est un modèle assez innovant. Cela peut donner des idées aux personnes qui ont des projets et qui pensent au financement de manière assez binaire, soit la banque, soit la levée de fonds. Dans un monde idéal, quel changement aimerais-tu voir dans la société ? Quel serait ton rêve ?

Charles-Edouard Vincent : On va ouvrir des villes : Lyon, Lille…., on a eu beaucoup de villes qui souhaitent pouvoir mettre en oeuvre des concierges dans les quartiers comme Lulu. Mon rêve, je le puise de mes expériences auprès des gens de la rue, des gens qui sont en grande souffrance sociale. Il y a énormément de solitude dans les villes, de personnes qui se retrouvent en marge de notre société. Cela crée des souffrances, évidemment pour les personnes, mais aussi pour tout le monde, parce que l’on est jamais très à l’aise quand on prend le métro, quand on se promène dans la rue, de voir ces gens en galère, cette misère. Donc oui, mon rêve est de voir ville réconciliée. Et je crois beaucoup que ces petits services de proximité ont un rôle à jouer. La bonne nouvelle, c’est qu’on peut créer de l’emploi en partant aussi de ce que les personnes savent faire. On a tous un talent. Et à partir du moment où on arrive à mettre cela en valeur, cela va permettre à des gens qui étaient en marge de retrouver leur place dans la société, de se sentir utile, partie prenante de la société et non plus à côté, exclus. Le rêve de Lulu dans ma rue, c’est d’arriver à développer cela dans toutes les villes en France.

Retrouvez Charles-Edouard Vincent sur LinkedIn.

Julie Huguet est entrepreneure et présidente d’une capitale French Tech. Passionnée de tous les sujets liés à la transformation, l’innovation ou plus généralement à la tech.

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