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En finir avec la productivité avec Laëtitia Vitaud

Optimiser les process, gagner du temps, améliorer l’organisation : la productivité constitue aujourd’hui l’objectif premier des organisations. Mais l’évaluation du travail sur le critère de productivité est-elle toujours une approche pertinente ? Quelle place la productivité a-t-elle pris dans notre quotidien ? Pourquoi et comment faire évoluer le concept ?

Pour répondre à ces questions, freelance.com a interviewé Laëtitia Vitaud.

Conférencière et autrice, Laëtitia Vitaud vient notamment de publier un livre sur le sujet : En finir avec la productivité.

Productivité : les dérives d’un concept

Destinée à évaluer l’efficacité et le rendement, la productivité fait le ratio entre la richesse produite et les ressources engagées. Comme le souligne Laëtitia Vitaud, il semble logique que les  organisations cherchent à produire un maximum de richesses en investissant un minimum de ressources. Mais l’injonction à la productivité est aujourd’hui telle que la productivité n’est plus un moyen d’atteindre un objectif : elle constitue une fin en soi.

« Ce n’est pas la productivité que je critique, mais la manière dont on la conçoit, dont on la mesure, et la manière dont elle a envahi nos vies dans de nombreuses dimensions où elle n’a pas sa place, explique Laëtitia Vitaud. On a même inversé les choses : on dort bien pour être productif, on mange bien pour être productif, on est même heureux pour être productif.

Alors que la productivité reste un moyen, et non une fin en soi. »

En plus de s’imposer dans tous les pans de notre vie, la quête de productivité a entraîné de nombreuses dérives. Addiction et souffrance sur le plan individuel, effets néfastes sur l’environnement et l’humain au niveau plus global : la quête permanente de productivité ne se fait pas sans dommages collatéraux.

Les limites du concept de productivité

Au-delà de ces dérives, le concept peut être questionné d’un point de vue théorique.

En effet, comment comparer la productivité de deux collaborateurs sachant que l’un et l’autre n’ont pas exactement les mêmes périmètres, les mêmes dossiers, ou encore les mêmes clients ?

Comment évaluer la productivité de chacun dans le cadre d’un projet, sachant que celui-ci résulte par essence d’échanges et de co-construction ?

La subjectivité liée à l’évaluation de la productivité limite donc la pertinence du concept.

Cette subjectivité est encore plus marquée quand la mesure de productivité concerne différents niveaux hiérarchiques. Comme le souligne Laëtitia Vitaud, « le mérite productif reflète un rapport de force existant au niveau de la hiérarchie. On donne moins de mérite productif à ceux qui sont plus bas dans la hiérarchie, indépendamment de la valeur apportée. »

Le concept de productivité est par ailleurs insuffisant, puisqu’il ne mesure pas la richesse du travail effectué par un individu pour le collectif. C’est là où apparaît la dimension sexiste de la notion, comme le souligne Laetitia Vitaud : « Les femmes réalisent plus de taches pour le collectif. Ces activités leur font perdre du terrain dans la performance individuelle car elles ne sont pas jugées productives, bien qu’elles soient au service du collectif. »

La productivité : un concept emprunt de sexisme

Selon Laëtitia Vitaud, « les femmes ne se reconnaissent pas dans la vision du succès véhiculée dans les entreprises. Le fort investissement en temps, la nécessité d’occuper le terrain, et les jeux politiques ne sont pas compatibles avec le fait d’être mère, ou de devoir s’occuper d’autres personnes. » Or, c’est aux femmes que revient la plupart du temps la mission de Care, qu’il s’agisse des enfants, des parents et parfois même des parents du conjoint.

Deux tiers des activités de Care sont d’ailleurs assumées par les femmes ; alors que leur travail cumulé ne représente qu’un tiers de l’activité totale. « On voit bien que cet édifice conceptuel d’indicateurs, de définition de la réussite — basé sur l’idée que la femme s’occupe gratuitement du Care, et que l’homme s’occupe de gagner de l’argent — n’est plus acceptable dans notre société. Il faut que les deux soient mieux partagés », affirme Laëtitia Vitaud.

Quelles pistes pour revoir le concept de productivité ?

Incomplet, biaisé, subjectif et sexiste : le concept de productivité semble aujourd’hui inadéquat pour évaluer la contribution de chacun à la création de richesse et à la réussite.

Laëtitia Vitaud évoque quelques pistes pour mieux refléter la réalité des contributions individuelles et collectives  :

  • une meilleure répartition des taches de Care entre les hommes et les femmes, qui permettraient aux femmes de réaliser davantage de travail jugé productif
  • Une meilleure représentativité des femmes à tous les niveaux hiérarchiques
  • Plus de mixité sur l’ensemble des métiers (puisque la majorité des hommes et des femmes travaillent dans des métiers non mixtes, dans lesquels il y a plus de 60% de l’un des 2 sexes)
  • Une revalorisation des métiers de Care, jugés aujourd’hui essentiels mais peu productifs (comme les postes de nounou ou d’auxiliaire de vie, par exemple).

De façon plus globale, l’engagement des pouvoirs publics et des entreprises sur ces questions semble indispensable.

Selon Laëtitia Vitaud, « il y a un sujet très politique qui est la valorisation des services publics. Les entreprises ont besoin de services de la petite enfance, d’écoles avec des horaires allongés. Il faut aussi un système fiscal favorable à la garde d’enfants. »

De leur côté, les organisations ont également leur rôle à jouer. Proposer des congés second parent plus généreux, conduire des politiques RH plus investies sur la parentalité, revoir les horaires et l’organisation du travail, sont autant de pistes qui permettraient de rectifier la donne. Pour refléter avec justesse la création de valeur de chacun.

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Julie Huguet est entrepreneure et présidente d’une capitale French Tech. Passionnée de tous les sujets liés à la transformation, l’innovation ou plus généralement à la tech.

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